Le long de la route BR-163

Un axe de la déforestation en Amazonie brésilienne

23 décembre 2019

La forêt amazonienne est un foyer majeur de biodiversité dans le monde. Bien qu’elle soit la plus grande forêt tropicale protégée, même partiellement, elle subit depuis plus de 40 ans d’importantes dégradations causées par les activités humaines.

Des milliers d’hectares de forêt ont été abattus pour cultiver (du soja surtout), exploiter le bois ou libérer des espaces pour l’élevage bovin. La construction de routes traversant l’Amazonie a considérablement accéléré la déforestation à partir des années 70.

La route BR-163 est longue de 4 476 km. Elle relie Santarém, sur les rives du fleuve Amazone, à Tenente Portela, au Sud du Brésil dans l’État de Santa Catarina. Tout comme la Transamazonienne (BR-230), cet axe routier favorise l’urbanisation, l’agriculture et l’exploitation minière. Ces activités s’opèrent systématiquement au dépend de la forêt primaire, auparavant inaccessible.

Dans cet article dit « long format », nous suivons cette route BR-163 afin de montrer l’ampleur de la déforestation récente et en cours. La trame cartographique du récit mobilise en partie les travaux du projet « Global Forest Change » de l’Université du Maryland.

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Santarém, située sur l’Amazone et à proximité de son affluent le rio Tapajós, est une ville portuaire de l’État du Pará. Elle compte près de 30 000 habitants.

En 2003, le géant américain de l’agroalimentaire Cargill termine la construction d’un terminal au port de Santarém. Cette infrastructure privée est agrandie en 2015, attestant au passage de l’intérêt économique de la région et de la route BR-163 qui la traverse.

5 millions de tonnes de grains de maïs et de soja transitent chaque année par ce terminal. 114 milliers y sont stockées. Ces récoltes arrivent par voie navigable ou par camion, pour ensuite être acheminées, par barge, sur l’Amazone puis déboucher sur l’Océan Atlantique et les marchés mondiaux de l’alimentation animale. Ce développement récent du port fait de Santarém une étape importante pour l’exportation des céréales brésiliennes.


Terminal de Cargill dans le port de Santarém en 2007. Crédit : Sara y Tzunki, CC-BY-NC
En matière de politiques publiques, ce développement de l’agro-business prime souvent sur la préservation de la forêt amazonienne. Par exemple, l’État fédéral brésilien propose des avantages fiscaux pour s’installer en Amazonie. De même, en 2004, le président Lula annonce l’asphaltage de la route, ce qui entraîne le développement de routes secondaires. De grandes fermes se multiplient alors le long de la route et la déforestation s’accélère... en dépit de la proximité voire l’intégration de ces espaces dans des aires protégées et des réserves indigènes .

Dès les premiers kilomètres après Santarém, l’on observe les liens entre les activités anthropiques (déforestation) et la route BR-163.

Sur ces images satellites, on distingue les forêts préservées (aires protégées et territoires indigènes) des nombreuses parcelles défrichées (en forme « d’arêtes de poissons »).

Cette déforestation s’accentue dans la région de Rurópolis où la route devient commune avec la Transamazonienne (BR-230). Cet autre axe majeur, qui relie l’Océan Atlantique à Jão Pessoa au Pérou, favorise lui aussi la déforestation.

La route BR-163 se sépare de la Transamazonienne à proximité du port de Mirituba. Comme Santarém, Mirituba est une étape importante pour le transit des céréales et les bois précieux hors de de la forêt amazonienne.

Barge pouvant transporter du soja.

Connectée aux routes majeures que sont la BR-163 et la BR-230, Mirituba constitue un terminus pour les camions. Ils déposent leurs marchandises dans des barges qui naviguent ensuite sur le rio Tapajós et rejoignent d’autres ports capables d’accueillir des navires cargos. C’est le cas du port de Barcarena.


Camions de marchandises en attente, à proximité du port de Mirituba, 2019. Crédit : Amazoni@zul

Au Sud de Mirituba, les espaces protégés (forêts nationales, réserves et parcs nationaux) sont supposés empêcher la déforestation. Les images satellites montrent cependant que des parcelles sont tout de même déboisées, tout au long de la route BR-163 et de son réseau secondaire.

Cette déforestation à l’intérieur même des aires protégées s’explique par une réglementation trop laxiste et un contrôle inefficace des règles en place. Selon Greenpeace, l’exploitation illégale du bois est la cause principale de la déforestation : elle représenterait 60 à 80 % des arbres abattus en Amazonie.

Il existe plusieurs niveaux de protection pour les aires protégées. Ces réglementations associent les acteurs locaux, nationaux et internationaux, afin de concilier la préservation de la nature et le développement des populations qui vivent dans ou à proximité de ces espaces.

Par exemple, le parc national de Jamanxim est soumis à une réglementation de catégorie II par l’Union internationale de conservation de la nature (UICN). Ce niveau est considéré comme peu strict : il autorise un développement économique modéré de l’espace protégé, et donc une déforestation partielle.

Ainsi, cette exploitation économique de la forêt amazonienne est autant favorisée par le maillage des routes qui la traversent que par une réglementation relativement souple et peu appliquée – ces zones sont immenses – des aires protégées. Rappelons que les territoires indigènes et les aires protégées couvrent tout de même 34 % de l’Amazonie brésilienne.

Nous avons déjà parcouru 780 km depuis Santarém ! Nous arrivons à Novo Progresso, une ville nouvelle née avec la route BR-163.

Peu après l’installation des premiers habitants, la découverte d’un gisement aurifère, au début des années 1980, ouvre une période de forte croissance démographique.

Novo Progresso est officiellement devenue une commune (município) en 1991. Elle voit sa population fortement augmenter jusque dans les années 2000 avant de se stabiliser. Le paysage forestier initial a quant à lui beaucoup changé.

Évolution de la population de Novo Progresso

Source: Recensements de 1912 et 2010, Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística (IBGE).

En comparant les images satellites dans le temps, il est possible de saisir la progression et l’ampleur de la déforestation entre 2001 et 2018 dans cette région de Novo Progresso.

Voici par exemple la destruction de couvert forestier entre 2001 et 2006 .

Attention, les zones déboisées avant 2001 apparaissent déjà en gris, comme le bâti, les données chronologiques pour cette analyse démarrent en 2001.

Puis entre 2007 et 2012 .
Et enfin entre 2013 et 2018 .
En 2018, le Global Forest Watch estime que 120 000 km² de forêt tropicale primaire ont été détruits dans le monde. Cela équivaut à 3 fois la superficie de la Suisse. Face à de tels ordres de grandeur, il est difficile de saisir l’ampleur de cette déforestation.

Basculons à une échelle plus locale pour une comparaison plus concrète.

Cette parcelle fait 105 km². Elle a été déboisée entre 2001 et 2018.

105 km², c’est la superficie de Paris.

Les arrondissements de Paris sont ici superposés à cette parcelle pour mieux rendre compte de l’échelle.

Revenons à l’Amazonie brésilienne dans son ensemble. En combinant des comparaisons d’images satellites et l’analyse de l’occupation du sol, l’ONG MapBiomas quantifie la diminution du couvert forestier et l’accroissement des surfaces agricoles . C’est ce que montre le graphique ci-dessous entre 1985 et 2018.

Évolution du couvert forestier et des surfaces agricoles en Amazonie brésilienne, 1985-2018

En millions de km²
Source : Projet MapBiomas, collection v4.0, http://mapbiomas.org.


La symétrie des deux courbes est frappante : quand le couvert forestier perd 473 000 km² entre 1985 et 2018, les surfaces agricoles en gagnent 448 000 km². L’extension de l’agriculture, pour l’élevage bovin essentiellement, se fait au détriment de la forêt à un rythme quasi constant jusqu’en 2008 où un ralentissement devient visible.

En termes de superficies totales, la tendance de la déforestation en Amazonie brésilienne au cours des trente dernières années est la suivante : diminution à la fin des années 1980, puis augmentation jusqu’au pic de 2004, puis nette diminution au cours du mandat présidentiel de Lula (2003-2011) et enfin légère hausse depuis.

Évolution de la déforestation, 1988-2019

En milliers de km²
Source : Instituto Nacional de Pesquisas Espaciais, programme PRODES, www.inpe.br.


En cumulant les estimations sur toute la période, on obtient une perte de 12 % de surface pour la forêt amazonienne brésilienne entre 1988 et mi-2019.

Précisons cependant que ces estimations n’incluent pas systématiquement les pertes de couvert forestier liées aux feux de forêts. Or les incendies d’août et septembre 2019 ont montré l’impact de ces pratiques sur la déforestation.

Scientifiques, militants écologistes et défenseurs des droits autochtones alertent l’opinion publique mondiale sur la destruction de la forêt amazonienne depuis des décennies. Les objectifs de l’actuel président brésilien Jair Bolsonaro – accélérer l’exploitation forestière, minière et agricole en Amazonie – ont déjà des répercussions : la déforestation s’accélère. Sur place, les violences, les emprisonnements arbitraires et les assassinats se poursuivent contre les opposants à cette exploitation de la forêt quand les administrations locales et policières tolèrent voire soutiennent ces crimes.

À un niveau planétaire, l’Amazonie rassemble les superficies de forêts primaires les plus importantes. Elle est dans le même temps la plus affectée par la déforestation. Or les scientifiques s’accordent sur son rôle central dans la régulation du climat et l’importance de sa biodiversité. Cette forêt capte par exemple de grandes quantités de carbone, davantage que les autres types de forêts. Les actions de reboisement, souvent en monoculture, ne compensent pas ces pertes.

À propos des données

Le Département des sciences géographiques de l’Université du Maryland a produit les données de déforestation utilisées dans ce long format. Les travaux de Hansen et al. (Science, 2013) ont permis d’élaborer un modèle capable de reconnaître le couvert forestier et de détecter l’évolution de ce dernier à l’échelle du monde entier.

Le modèle utilise des images satellites Landsat 8 prises entre 2000 et 2018. Les capteurs de ces satellites peuvent saisir l’infrarouge et le proche l’infrarouge, en plus du rouge visible. Les images ainsi produites, partiellement hors du spectre visible par l’Homme, permettent une analyse très fine du couvert végétal. Avant de couvrir l’ensemble de la planète, Hansen et al. ont appliqué le modèle à un corpus de données où la végétation déjà identifiée représente tous les types de couverts forestiers terrestres (forêt boréale, forêt tropicale, plantations...). Cette phase d’apprentissage du modèle sur plusieurs cas locaux a permis ensuite de l’appliquer à l’échelle mondiale.

Ainsi produites, les données estiment la perte de couvert forestier chaque année entre 2001 et 2018, avec une précision d’environ 30 mètres au niveau de l’Équateur. Le couvert forestier est alors défini comme « les terres naturelles ou plantées abritant des arbres d’au moins 5 mètres de haut, qu’elles soient productives ou non » ; sont exclus les systèmes de production agricole (les plantations fruitières ou les systèmes d’agro-sylviculture) ou les arbres des parcs et jardins urbains.

Sources


Ce long format est inspiré de nos travaux réalisés pour l'Atlas de l'Anthropocène, co-écrit par François Gemenne, Aleksandar Rankovic et l’Atelier de cartographie de Sciences Po. Préface de Jan Zalasiewicz, postface de Bruno Latour et édité par Les Presses de Sciences Po.